UNE BRÈVE HISTOIRE DU RWANDA
Aux sources du Nil situées aux confins des « Monts de la lune », le Rwanda tout juste colonisé apparaît pour l’Europe de la fin du XIXe puis celle du XXème siècle comme la terre de tous les fantasmes. Les Allemands en 1894, puis les Belges à partir de 1916, y pénétrèrent en s’étonnant qu’un pays « nègre » puisse être organisé comme un pays «civilisé». Les colonisateurs y trouvèrent un peuple d’une même unité de culture, de langue, de religion, de structures sociales, sous l’organisation de pouvoirs politico-religieux multiséculaires personnifiés par leur roi (“Mwami”). L’aristocratie dirigeante se devait de garantir la cohésion d’une société dans laquelle l’identité de chaque sujet relevait de plusieurs déterminants : clan, lignage, filiation, territoire d’origine, vocation socio-économique… Parmi ces dernières figuraient trois grandes catégories: les batutsi et la vache, les bahutu et la houe, les batwa et la chasse ou la poterie. Tous étaient unis par des rituels communs et des systèmes complexes d’échanges et de protection.
AUX ORIGINES DU GÉNOCIDE
Dans les années cinquante s’opère alors un changement radical : l’aristocratie et cette élite Tutsi portent les revendications indépendantistes qui progressent alors sur tout le continent. Pour les neutraliser le pouvoir colonial véhicule l'idéologie d'un «peuple majoritaire Hutu», républicain, avide de progrès social, exploité par des "Tutsi dominateurs hantés par le rétablissement d’une monarchie rétrograde". C’est ainsi que la « révolution sociale » de 1959 débouche sur une république intrinsèquement fondée sur l’exclusion des Tutsi. Les massacres se répètent en 1959, 60, 61, 63, 66, 67, 73... Chaque nouvelle crise de régime suscite l’opportunité de désigner le bouc-émissaire Tutsi. Nombre d’entre eux se réfugient dans les pays voisins. Face à la pression politique croissante que cela suscite à l’échelle internationale, la frange la plus extrémiste du régime Hutu échafaude peu à peu son projet de « solution finale »…
Face à cette organisation traditionnelle de la société, non exempte d’inégalités, de rivalités politiques et de conflits, les colonisateurs choisirent la division et classifièrent les individus suivant un simplification réductrice basée sur les théories raciales de l’époque. Ils enfermèrent les rwandais dans une identité de Hutu, “biologiquement” inférieurs (tout comme les Twas) et de Tutsi, “biologiquement” supérieurs, « race de seigneurs » aux origines supposées évidemment proches de celle des européens. L’église missionnaire et l’administration coloniale se chargèrent de former une élite Tutsi. Celle-ci fut dotée de privilèges inédits au sein d’un système d’administration indirecte qui faisait peser des charges de plus en plus lourdes sur des populations majoritairement Hutu.
En 1994 le monde entier découvre Le Rwanda à travers les images télévisuelles de « massacres » puis d’ « exodes » d’un million de personnes vers le Congo voisin. Ce que la plupart des média qualifient alors d’irruption de luttes ethniques ancestrales propre à « ces populations africaines si imprévisibles » est en réalité un génocide mûrement planifié, dont la généalogie est ancrée dans cette histoire coloniale et néo-coloniale qui nous est commune. La France y a pris sa part en persistant dans des accords de coopérations militaires semblables à ceux entretenus avec ses anciennes colonies, ici aux côtés d’un régime dont le caractère génocidaire ne faisait plus doute.
RECONSTRUIRE AVEC TOUS
Ce sont les rebelles du Front Patriotique Rwandais (FPR) qui furent seuls sur le terrain à combattre les forces génocidaires et qui parvinrent à les mettre en déroute en Juillet 1994. Le pays est alors dévasté, les maisons, les bananeraies, les écoles, certaines églises, tous les lieux qui abritèrent les massacres collectifs sont à terre.
Se pose d’emblée la question de la reconstruction et du vivre ensemble. Le gouvernement d’union nationale nouvellement créé se trouve devant un défi immense : reconstruire avec tous les rwandais, rompre avec la culture de l’impunité, bâtir une politique d’unité et de réconciliation qui n’occulte pas les besoins de justice et de réparation des victimes. Au début des années 2000, plus de 120'000 rwandais sont encore incarcérés pour crime de génocide, en attente de leur jugement auquel il sera procédé par la création des tribunaux « Gacaca », justice d’inspiration traditionnelle qui fut déployée jusqu’en 2011.
Une politique mémorielle est également développée. C’est ainsi que d’avril à juillet sont organisées chaque année, sur tout le territoire rwandais, des cérémonies commémoratives qui restent chargées d’une intense émotion.
Pour soutenir cette politique d’unité et de réconciliation, le développement économique et social apparaît comme un enjeu crucial. La scolarisation des plus jeunes, la mise en place d’une couverture maladie universelle, la lutte contre la corruption et la sécurisation des investissements figurent parmi ses succès les plus spectaculaires. La récurrence de taux de croissance insolents ces deux dernières décennies a hissé le pays aux portes du groupe des pays à revenus intermédiaires. Ces développements ne se font pas sans heurts ni oppositions. Au Rwanda comme ailleurs en Europe et dans le monde, les enjeux de sécurité intérieure se confrontent à ceux de protection des libertés. Le pays, qui mise sur la revalorisation de ses valeurs et traditions précoloniales, cherche à construire son propre chemin. Il puise pour cela dans toutes les ressources de sa culture et de son histoire.
Pour en savoir plus (bibliographie sélective) :
- CHRETIEN (Jean-Pierre), L’Afrique des Grands Lacs. Deux-mille ans d’histoire (Paris, Aubier, 2000)
- FRANCHE (Dominique). Généalogie du génocide rwandais (Bruxelles, Tribord,2004)
- BRAECKMAN (Colette), Rwanda. Mille collines, mille douleurs (Bruxelles, Nevicata, 2014)